SELAT
partie 1
Le lendemain elle se leva tardivement, sur les coups de onze heure. Pas à pas, en silence, elle descendit les marches du petit escalier en colimaçon qui mène à la cuisine. L'une des planches grinçât sous son pas, toujours la même marche, qui d'année en année, d'un craquement strident, ce fait témoignage de toute une vie à supporter le poids des soucis, le même frottement, la même pression, exercée froidement, tout les jours, au même moment.
Dans la cuisine c'est le calme plat, les rayons du soleil filtrent en faisceaux obliques vers le sol à travers les stores à demi fermés. Et dans ces rayons de lumière virevoltent de fines particules de poussière poussés par des courants d'air légers et imperceptibles. Elle avance lentement, la main glissant sur le rebords en bois des arrêtes de la cuisinière vieillotte Ses pieds nus , frôlent le carrelage froid jusqu'à la sale à manger. Sur la table, des papiers, des revues, un cendrier plein côtoie des K7 sans étuis, des stylos sans bouchons... On donnerait plutôt l'air d'un bureau. Une odeur de tabac froid flotte et marque tout les aspects d'une maison qui n'est pas sereine. Elle s'arrête, pose son regard au bout de la table, là ou dans la pénombre un visage grimaçant appuyé sur la paume de la main, qui tiens une cigarette roulée éteinte du bout des doigts l'observe.
Le teint rougeôt de joues parsemés de petites veines bleues entoure un long nez cabossé, brutal. En dessous, de fines lèvres entrouvertes laisse apparaître un éventail de dents gâtés et jaunies par des années de tabagie. Le regard fixe, aux yeux humides et bleus émeraude, rappelle l'océan, le sel, le vent. Son visage allongé est surmonté d'une chevelure sèche et bouclée aux teintes marrons et grises. Elle se racle la gorge et crache dans un verre qui sert de cendrier depuis bien trop longtemps.
-"Qu'est-ce qu'on va faire de toi bordel?"
Et le silence retombe, pesant, épais, chargé de métaux lourds. Le silence persistant du mal-être, ce silence qui vous suit, celui qui vous enferme, seul, au plus profond de notre âme. Monolithe du temps passé, de flots noirs caressant de leurs écumes les rivages ravagés d'une vie trop lourde à supporter. Qui pareil aux rayons de soleil du sud de l’Espagne, qui du haut de son zénith vous écrase et vous fait peu à peu perdre la tête.
Julie a mal. Voilà bientôt ses dix-neufs ans. Dont quatorze au moins passés dans la souffrance. Et toute ces nuits des rêves sordides. Toutes les nuits depuis quatorze ans Julie tient un mystérieux lien avec sa noirceur. Il y'a bien des pays ou il ne fait pas bon vivre, des pays ou le quotidien ce doit de conjuguer avec l'horreur. Des pays ou chaque jours l'oppression infernale de la mécanique humaine abat son mal arbitrairement. Et bien ces pays ne sont rien comparé à la noirceur de l'âme de Julie. Toutes les nuits, les pires monstres qui ont traversés les âges, les légendes et les mythes lui rendent visites. Dans ses évasions nocturnes, Julie côtoie tout ce qui n'existe pas et qui vous ferait vomir sur le champ. Si bien que cela fait autant de temps que Julie s'empêche de dormir. Car même jeune, lorsqu'elle s'endormait, c'est toute la maisonnée qui frémissait.
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